Sur les lèvres

Réveil amical

©Istock.

Au lever du jour, c’est le silence. Soudain, le monde se met à vibrer, j’ouvre les yeux. Le doux tremblement de mon réveil m’indique que c’est l’heure de sortir du lit.

J’émerge de mes drôles de rêves sans bruits, remplis d’images et de sons animés. Parfois dans mes rêves, j’ai l’impression d’entendre les conversations de manière fluide mais de l’intérieur, sans passer par mes oreilles. Comme lorsqu’on pense. Si c’était pareil dans la vie réelle, ce serait drôlement chouette…

Je laisse là mes pensées, un sourire sur le visage à l’idée d’appeler une de mes chères amies au petit-déjeuner. C’est devenu presque une tradition, l’appel du mercredi matin. Non pas au téléphone, mais en « FaceTime », avec vidéo. Mon portable sonne ; sur l’écran, le visage de mon amie Lucie s’affiche, tout sourire. Pas besoin de « brancher » mes appareils pour discuter avec elle : c’est comme dans les conversations de mes rêves, je la comprends de manière instinctive, dans le silence.

Il faut dire qu’avec Lucie, on se connaît depuis 10 ans, une éternité. La conversation débute, son visage s’anime. Rares sont les fois où je la fais répéter, sauf quand un mot inconnu (ou compliqué à saisir en lisant sur les lèvres) intervient sans crier gare dans le flux de ses paroles. Après quelques tentatives infructueuses, je la vois se mettre à pianoter sur son écran : le mot incompris s’affiche de manière claire. « Aaah », c’était donc ça. On reprend notre conversation.

La tasse de café à la main, je l’écoute me raconter ses dernières péripéties. Ou plutôt, je la regarde attentivement depuis ma bulle de silence. Mes amis ont tellement intégré le fait que je sois sourde qu’ils finissent par… l’oublier. Quelque part cela me rassure : ma personnalité ne se définit pas autour de mon handicap. Elle ne se définit pas non plus par ces moments de flottement au détour de conversations où je ne saisis pas ce qui se passe.

L’heure du petit-déjeuner arrive à sa fin. Nous devons reprendre le cours de nos vies. Douchée, habillée, j’enfile enfin mon appareil auditif et mon implant cochléaire. D’un coup, ma bulle de silence se remplit de bruits, de musique et de sons. Quand même, ça fait du bien d’entendre…

Aliénor Vinçotte, ombresetlumiere.fr -octobre 2020

Sourde de naissance, Aliénor Vinçotte est diplômée de Sciences Po et journaliste.

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