Un pas de biais

Un chemin d’endurance

Une femme faisant des exercices d'étirement
© Istock.

Pour éviter que mes muscles ne se raidissent, que de nouvelles douleurs apparaissent, et d’en arriver à la sclérose, je dois faire chaque jour 30 minutes d’étirement. Depuis quelque temps, pour me donner du courage, je mets une pièce dans une tirelire à chaque fois que je fais ces exercices.

L’autre jour, j’ai réalisé que cette demi-heure quotidienne frayait en moi un chemin puissant. D’abord, je suis obligée, pour un certain mouvement, de prendre appui sur l’escalier de mon immeuble. Une occasion inédite de croiser les autres habitants qui ont fini par s’habituer à cette voisine bizarre, et ont troqué leur air perplexe contre un salut encourageant. Nous échangeons un mot ou deux, parfois plus, et je me dis, pourquoi pas, que ce petit bout de conversation participe à sa manière à la beauté du monde.

Ensuite, il me semble qu’il y a dans cette demi-heure quelque chose de l’expérience de foi. Certains étirements douloureux me semblent durer, durer sans fin, et il ne me reste plus alors, pour tenir, qu’à penser aux autres malades, aux personnes de mon entourage qui traversent des souffrances. Je m’associe à elles et j’essaie, aussi, de nous confier à Jésus.

D’autres fois, c’est le sentiment de l’inutile qui m’envahit. Je ne vois pas les progrès. Je ne sens pas un mieux, là, tout de suite. Je fais l’expérience de l’invisible, de l’insensible. Je dois de nouveau poser le choix d’avancer, d’y croire quand-même. C’est le plus dur. La tirelire me soutient : au moins, un jour, quand on en aura fini du confinement (autre style d’endurance), je pourrai inviter ma sœur dans un super resto… peut-être même qu’il y aura du jazz !

Enfin, parfois, je craque. Je n’ai pas la force. Je n’y arrive plus. J’apprends alors à petits pas à ne pas m’en vouloir, à m’aimer quand-même. Chemin de miséricorde. Dans ces cas-là, le bain chaud remplace la tirelire. C’est bien aussi.

Ces innombrables allers et retours sur un chemin d’endurance, combien d’entre nous le vivent dans le secret du quotidien ? En chaque personne handicapée, malade, en chaque parent soumis au découragement, à la souffrance, à la nécessité de durer, je salue aujourd’hui un frère d’arme. Penser à eux me donne beaucoup de force. Le courage et la douceur partagés dans l’invisible sont des leviers tellement puissants. Bien plus que les pièces d’une tirelire.

Cécile Gandon, ombresetlumiere.fr – 25 janvier 2021

Porteuse d’un handicap moteur, Cécile Gandon travaille dans l’associatif. Elle est l’auteur de « Timéo et sa drôle de famille » (Téqui).

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