Autres actus

Une handicapée au comité d’éthique

Noémie Naulleau
© Cyril Douillet.

Atteinte d’une maladie évolutive, Noémie Nauleau a été en mai dernier la première personne en situation de handicap à être nommée au comité consultatif national d’éthique (CCNE). Rencontre avec une jeune femme à l’itinéraire hors du commun.

Dans l’ambiance feutrée d’un hôtel accessible du quartier Montparnasse, Noémie Nauleau s’annonce dans son fauteuil roulant électrique, au léger bruit de moteur. La jeune femme de 36 ans, nantaise, fait un court séjour dans la capitale à l’occasion d’une réunion plénière du comité d’éthique, dont elle est devenue membre en mai dernier, sur proposition du CNCPH (comité national consultatif des personnes handicapées). Elle est devenue ainsi le premier membre en situation de handicap de l’histoire du CCNE. Un cercle d’experts et de penseurs un peu impressionnant pour cette jeune conseillère technique à l’ARS Pays de la Loire : « Pour l’instant, j’observe, j’essaye de comprendre le fonctionnement de cette instance… Je suis frappée par l’écoute bienveillante », confie celle qui entend « apporter un autre regard » sur les questions éthiques, façonné par son expérience humaine.

Il faut dire que l’itinéraire de Noémie Nauleau est assez exceptionnel. À trois ans, on lui diagnostique une amyotrophie spinale, une maladie génétique lourde. « Toute la famille a été percutée, même si c’est différent pour chaque membre », assure-t-elle, rendant hommage à ses parents « qui sont restés unis et ont fait face ensemble ». Tétraplégique, elle a vécu son enfance et adolescence entre les hôpitaux et des institutions médico-sociales, à Limoges, loin de sa famille installée en Loire-Atlantique. « Des années désastreuses, pendant lesquelles les médecins pensent que je ne vais pas vivre très longtemps », résume-t-elle, tout en actionnant de sa main droite son bras électronique greffé à son fauteuil pour porter à sa bouche un verre d’eau. À l’âge de vingt ans, elle doit quitter l’Institut d’Education Motrice qui l’accueille, pour limite d’âge. « Logiquement, je devais me retrouver en maison d’accueil spécialisée… Quand on a 20 ans, c’est le couloir de la mort ! » Avec l’aide de l’IEM, elle se bat pour échapper à ce destin. Elle intègre alors l’École de la vie autonome, à Chinon, pour cinq ans. Là, elle constate que « la vie n’est pas si désastreuse », et qu’elle peut envisager s’installer dans un appartement, tout en menant des activités bénévoles.

Citoyenne engagée

« Ca a été un tremplin essentiel… D’objet de soins, je suis devenue une cliente, puis une citoyenne engagée, une citoyenne tout court », affirme-t-elle de sa voix ténue, avec un léger et fin sourire. Elle vit désormais dans la capitale des Pays de la Loire, dans une résidence de l’ADMR (aide à domicile en milieu rural) où huit appartements sur 50 sont domotisés et réservés à des personnes lourdement handicapées. Elle gère différents accompagnants, et bénéficie d’une robotique adaptée. « Ca fonctionne parce que j’ai été formée… C’est à l’opposé de la vie qui m’était promise ! », se réjouit-elle. En parallèle de cet apprentissage de l’autonomie, Noémie Nauleau rencontre Pascal Jacob, fondateur de l’association Handidactique, qui vise à améliorer la vie des personnes handicapées et l’accès aux soins. Il lui propose d’intégrer un groupe de travail en vue de son prochain livre, « Il n’y a pas de citoyen inutile ». Par ce biais, elle rencontre l’ARS, et finit par être embauchée par le CREAI (centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité) des Pays de la Loire… Elle y travaille sur tout ce qui touche à la transformation de l’offre de santé en faveur de l’autonomie. Dans le même temps, elle collabore à des espaces éthiques régionaux – elle a par exemple publié des contributions sur le Covid pour l’espace éthique francilien.

Il n’y a pas besoin d’avoir fait de grandes études pour conduire une réflexion éthique… J’ai un regard différent car je suis touchée de l’intérieur.

Au comité national d’éthique, elle n’hésitera pas à mettre en avant ce « savoir expérientiel » acquis au long des années. « Le professeur Sicard (ancien président du CCNE, ndlr) me l’a dit : il n’y a pas besoin d’avoir fait de grandes études pour conduire une réflexion éthique… J’ai un regard différent car je suis touchée de l’intérieur. Du point de vue du handicap, on peut tirer des choses universelles », assure-t-elle, en citant l’exemple de l’invention de la télécommande, qui était au départ une réponse au besoin des personnes handicapées. Arrivée en fin de processus pour la parution de l’avis du CCNE sur la fin de vie, finalisé en juin dernier, elle a pu exprimer son point de vue, et se « sentir entendue ». « En tant que personne qui vit une maladie évolutive, je peux entendre que des personnes disent que « maintenant ça suffit » »… Avant d’ajouter, prudente : « J’ai d’abord besoin de comprendre les enjeux. Il est difficile de se prononcer de façon définitive quand on est impacté comme moi ». Et de conclure sur le symbole historique que représente la nomination de patients dans l’instance éthique : « L’important, c’est que le CCNE s’ouvre à la société civile. C’est une révolution ! »

Cyril Douillet, ombresetlumiere.fr, 6 octobre 2022

Partager