Dossier

« Vivre avec une personne bipolaire, c’est apprendre à danser sous la pluie, même quand il y a de l’orage »

Valérie et Maxime.
© Brut (capture d’écran).

Maxime Perez Zitvogel est atteint de troubles de la bipolarité depuis six ans, et cofondateur de l’association La maison perchée. Pour Ombres & Lumière, il témoigne avec sa mère, Valérie, du rôle clef qu’ont les proches dans l’acceptation et l’accompagnement de la maladie.

Ombres & Lumière Maxime, comment se sont manifestés les premiers signes de votre maladie ?

Maxime – J’avais 22 ans lorsque j’ai été diagnostiqué bipolaire. Ma première crise maniaque a eu lieu il y a 6 ans, en 2015. J’étais alors en Chine, en échange avec mon école de commerce.

Valérie, sa maman – Un jour, ses amis m’ont appelé pour me raconter qu’il était en danger. Maxime était devenu complètement incontrôlable et étrange. Il ne dormait presque plus, il avait créé 4 entreprises en 3 mois, avait fait une demande en mariage complètement inattendue… C’était très inquiétant. J’ai fait appel à un médecin ami, qui travaillait sur place, pour consulter Maxime. Ce médecin m’a demandé si j’avais des personnes bipolaires dans ma famille. Il suspectait une phase dite « maniaque », sans poser de diagnostic pour autant. J’ai aussi vite contacté l’ambassade de France qui m’a dit qu’il fallait le rapatrier le plus tôt possible car, en Chine, il n’existe pas d’hôpital psychiatrique. Maxime courait donc un grand risque : s’il commettait un délit causé par ses troubles, il risquait la prison. Il fallait donc à tout prix venir le chercher. Par mon métier, un déplacement en Chine était possible. J’ai donc prétexté une raison professionnelle pour venir le voir. Mais, ramener Maxime en avion restait extrêmement délicat. Je n’avais pas d’autre choix que de le « shooter » aux médicaments, sinon il ne se serait jamais laissé faire. Comme le médecin sur place ne pouvait pas prescrire ces médicaments, j’ai dû les ramener moi-même, dans ma valise, par avion. Je n’avais qu’une peur : que les chiens spécialisés dans la détection de substances me repèrent. J’étais complètement hors-la-loi ! Mais quelle autre mère n’aurait pas fait ça pour sauver son fils ? Dans ces moments-là, on se retrouve seule, complètement démunie et tout nous tombe d’un seul coup. C’est d’une violence extrême. Alors on agit comme on peut. Heureusement, le voyage s’est passé sans encombre et j’ai pu ramener Maxime en France.

Maxime – Sur le coup, je réalisais que quelque chose n’allait pas, sans savoir quoi exactement… J’ai bien vu que ma mère m’emmenait voir des médecins, me faisait signer des papiers pour effectuer le rapatriement sanitaire. Elle m’a aussi demandé d’avaler un médicament qui n’était pas habituel, mais j’étais tellement mal que je me suis laissé porter. J’étais conscient, mais je ne contrôlais plus grand-chose. Mentir au proche qui fait une crise est parfois nécessaire. Dans mon cas, c’était vital de me sortir de là.

Comment s’est passé le retour en France, les hospitalisations… ?

Valérie – A son retour de Chine, Maxime a été hospitalisé durant un mois et demi. De mon côté, je me suis retrouvée seule. Je me suis mise à chercher de l’information. Le plus compliqué quand on se prend de plein fouet cette situation, c’est de savoir qui va être le bon interlocuteur pour nous aider. L’appel qui a été le plus utile pour moi, c’est celui d’une bénévole de l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques). Âgée d’une soixantaine d’années, son enfant avait été diagnostiqué bipolaire il y a plusieurs années. Elle m’a raconté tout ce que j’avais vécu à travers son expérience. Elle m’a alors prévenu : j’allais me retrouver seule ; j’avais « pris perpet’ » car la bipolarité, c’est à vie, même dans les phases dites « normales ». Car même la normalité d’un bipolaire n’est pas facile à vivre. Mais cette bénévole m’a assuré que des choses magnifiques pouvaient se vivre si mon fils et nous, ses proches, acceptions son traitement.

En quoi les proches sont-ils si importants dans le processus de rétablissement ?

Maxime – Au fil de mes rencontres, je constate bien la différence énorme entre des personnes atteintes de troubles psychiques soutenues par leurs proches, et celles qui ne le sont pas. C’est la base de tout rétablissement. Les proches du malade sont le premier soutien. Rien que le fait d’être aidé au niveau administratif est important. Car c’est un calvaire de s’occuper de ça ! Sans les proches, pour les personnes atteintes de troubles psychiques, très vite, du fait de la désociabilisation qu’entraîne cette maladie, plus rien ne nous attendrait dehors. Moi je fais partie de ces personnes malades très chanceuses. Ma mère m’épaule au quotidien, ma tante est médecin…

Valérie – Oui, c’est vite un cercle vicieux sans l’aide de proches. Les amis se raréfient, le travail ou les études deviennent très instables, ce qui peut rapidement entraîner des difficultés financières… D’autant qu’il n’y a rien de proposé du côté de l’Etat. Et a fortiori pour les jeunes adultes, âge où la survenue des troubles arrive en majorité. Quand j’allais voir Maxime à l’hôpital, j’étais traumatisée de voir que beaucoup de personnes restaient à l’abandon, sans visite. A cause de comportements déroutants que provoque la maladie, certains proches se brouillent avec la personne malade. Le trouble psychique met à distance, provoque des ruptures.

Comment se sont passées les relations avec les médecins ?

Valérie – Quand l’enfant est majeur, c’est compliqué pour un proche d’entrer dans le processus médical. Par définition, on est mis à l’écart. Mais, je pense que cela dépend beaucoup de l’attitude du proche. En gros, si on montre au personnel soignant que l’on n’est pas là pour « emmerder le monde », il est possible de trouver un espace de dialogue. Personnellement, ça s’est bien passé, j’ai été associée aux soins. J’ai fait comprendre que je voulais m’informer et faire de mon mieux pour aider mon fils.

Maxime – Je milite beaucoup pour que les parents aient plus accès à l’information car ils sont encore trop souvent mis hors-jeu. Ils restent derrière la porte, démunis. Or, il est prouvé que les proches jouent un rôle clef dans le rétablissement, donc cette situation est paradoxale ! Mais le dialogue évolue un peu. Et il doit s’ouvrir pas seulement dans le champ médical : c’est dans la société tout entière que le débat doit exister ! Je milite par exemple pour faire entrer les maladies psychiques dans les programmes éducatifs. Evoquer ce thème en sciences, même brièvement, participerait à le rendre moins tabou, et cela pourrait raccourcir les temps d’errance avant le diagnostic. Cela sauverait des vies, j’en suis convaincu… Moi, si j’avais su plus tôt que dans ma famille, il y avait deux personnes atteintes de maladies psychiques, et si j’avais su de quoi il s’agissait avant et comment repérer les symptômes… On aurait gagné du temps.

En tant que proche, quels ont été vos lieux de ressource, pour reprendre des forces ?

Valérie – J’ai la chance d’avoir une maison de vacances en Corse où je peux respirer, retrouver de l’énergie pour continuer. C’est vital.

Maxime – Tu es aussi animatrice à La Maison perchée. Tu y es responsable d’un groupe de parole, en visio pour le moment, pour les parents de personnes malades psychiques (il existe deux autres groupes : pour les « conjoints de » et les « frères et sœurs de »). J’imagine que d’être dans l’action pour les autres t’a aussi aidée à prendre du recul… ?

Valérie – Je ne sais pas si ça m’aide moi mais ça aide les autres, c’est sûr, et j’aime ça ! Dans mes groupes de parole, il y a une majorité de mamans présentes. Elles prennent souvent Maxime en exemple. C’est un peu un modèle de personne qui, malgré la maladie, réussit à mener une belle vie. Et j’avoue qu’entendre cela me flatte beaucoup !

Pour un proche, comment savoir quelle est la bonne manière d’agir ?

Valérie – Toute la difficulté est de trouver quelle est la bonne posture pour aider son enfant. Il ne faut pas le brusquer et aggraver son état mais il ne faut pas non plus le conforter et le laisser se perdre, être dans ce qu’on appelle « l’accoutumance ». Pour moi, ça a été relativement intuitif. Maxime est resté 1 an et demi allongé à la maison, ce qui est extrêmement déroutant pour un proche. Mais à l’époque, je sentais qu’il n’y avait rien à faire pour le moment. Puis, vient un moment où on perçoit un micro-changement. Dans ce cas, on peut s’autoriser à lui poser des questions, lui proposer des choses. Mais toujours avec une grande liberté ! Lorsque Maxime a eu l’idée de créer sa première association, en 2018, « Bipolaires et fiers et fières », j’ai senti que c’était une avancée énorme. C’est fantastique et je l’ai beaucoup soutenu.

Maxime – Le leitmotiv de cette association, c’est : « servir pour guérir », ça veut tout dire. C’est la même ambition qui est au cœur du projet de « La Maison perchée ». Petit clin d’œil : le jour où j’ai eu l’idée de créer la première association, on m’annonçait la sortie de ma deuxième hospitalisation.

Des conseils pour que la relation entre un malade et un proche se passe au mieux ?

Maxime – Il faut faire confiance à l’autre. Être le plus honnête possible et ne pas avoir honte d’exprimer ce qui va, ce qui ne va pas, sans forcément tout dire non plus.

Valérie – Maxime a un frère et une sœur. La maladie bouleverse tout au sein d’une famille. Pour avancer, chacun doit d’abord accepter l’entrée de la maladie dans sa vie. On se sent à la fois coupable et impuissant. Et pour une mère, ces deux sentiments sont exacerbés. En aucun cas, il ne faut être dans le jugement. Il faut vraiment avoir en tête que la personne malade ne fait pas exprès d’être comme ça. Il ne faut pas être dans la résistance mais vraiment faire avec la maladie. Et il faut en parler. Garder tout cela pour soi fait terriblement souffrir. En fait, vivre avec une personne bipolaire, c’est apprendre à danser sous la pluie, même quand il y a l’orage !

Recueilli par Guillemette de Préval, ombresetlumiere.fr – 29 octobre 2021

A lire : le dossier « Troubles psychiques, les proches en première ligne », OL n°244.

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