La relation à l’épreuve de la maladie d’Alzheimer ?
Je me souviens de moments passés avec Madeleine atteinte de la maladie d’Alzheimer. Ayant perdu la mémoire, je pouvais inlassablement répéter la même anecdote et elle, réagir inlassablement avec la même joie à ma bonne nouvelle.
Cette maladie la mettait dans la gratitude de l’instant présent qui m’émerveillait. Bien sûr en disant cela, je ne veux pas nier les difficultés que représente cette maladie pour la personne et ses proches qui doivent trouver des trésors de ressources et d’idées pour pallier les manques. Une de ces arrières-petites filles avait accroché autour de son coup « je m’appelle Chloé » pour éviter à son arrière-grand-mère de lui poser la question de son prénom.
La maladie d’Alzheimer peut toucher la mémoire, la communication, la raison. C’est l’épreuve du dépouillement. Si je vous en parle aujourd’hui c’est parce qu’à l’occasion du récent décès de Christian Bobin, écrivain et poète que j’apprécie beaucoup, j’ai eu envie de replonger dans ses écrits. Et j’ai retrouvé dans son livre la présence Pure, de magnifiques extraits où il parle de la maladie d’Alzheimer dont était atteint son père.
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Hugo : avez-vous un extrait à nous partager ?
Je pourrais vous en partager de nombreux. En voici quelques exemples :
« Dans cet établissement, je voyais des gens dont la barque de vie était en train de couler. Très peu de lumière entrait là. Et malgré tout, presque à chaque fois, je revenais avec un trésor. Vous êtes assis devant quelqu’un et vous avez son âme en direct. Vous avez l’âme des gens, avec ce qu’elle a d’âpre et de dur, et aussi parfois d’incomparablement lumineux. Chaque fois que je revenais de là, je savais ce que c’était que la grandeur de la vie. Je la voyais, là même où elle était la plus écrasée ».
« Ces gens dont l’âme et la chair sont blessées ont une grandeur que n’auront jamais ceux qui portent leur vie en triomphe. C’est par les yeux qu’ils disent les choses, et ce que j’y lis m’éclaire mieux que les livres ». Voilà pour les citations.
Je trouve que Christian Bobin décrit magnifiquement bien cette cohabitation dans le dépouillement entre détresse et grandeur, beauté de la personne.
Cette maladie la mettait dans la gratitude de l’instant présent qui m’émerveillait.
Hugo : Une invitation à se laisser toucher malgré l’épreuve. Mais j’imagine que certains proches sont surtout souffrants.
Il ne s’agit pas d’oublier les proches qui sont en effet traversés par des sentiments douloureux comme la solitude, l’impuissance, la peur. A partir du moment où la personne malade perd de l’autonomie, alors la charge pour les aidants s’intensifie, la fatigue, l’impatience, le découragement peuvent s’installer.
J’ai été témoin de ces sentiments mélangés chez les proches de Madeleine. Et pourtant, le quotidien difficile n’empêchait pas la relation. Docteur Bernard Cramet dans son livre Alzheimer mon frère le confirme. Il dit qu’une relation est toujours possible, qu’il faut y croire.
Il écrit : « La maladie est absurde. La personne que l’on a connue n’est plus la même, mais tant qu’elle vit, elle est encore là. Une relation perdure ». Cela me rappelle une épouse qui me disait qu’avec le regard, le ton de sa voix, le toucher, elle pouvait communiquer avec son mari et l’aimer.
Les personnes Alzheimer, dans leur extrême vulnérabilité nous apprennent l’amour gratuit car comme le disait encore Christian Bobin : « La maladie d’Alzheimer enlève ce que l’éducation a mis dans la personne et fait remonter le coeur en surface ».
Florence Gros sur Radio Notre Dame – 31 janvier 2023