L’ELOQUENCE DU BEGAIEMENT
Simon : Comment peut-on associer ainsi exercice oratoire et difficulté de langage ?
« Ma parole est un sport de combat. Parler est ma plus grande vulnérabilité, mon talent fragile. Aujourd’hui, je veux faire de ce handicap une arme de construction massive ».
Ce sont les mots de Samira. Elle est bègue et elle a participé à la finale de l’Eloquence du bégaiement qu’elle a remportée l’année dernière. Le but de ce concours est de briser les normes de l’éloquence et les tabous sur le handicap. Et quand vous écoutez l’ensemble des participants au discours légèrement saccadé, vous êtes édifiés par la force qui se dégage de chaque personne.
Simon : Quelle audace, cette prise de parole publique quand on est bègue !
C’est en effet un vrai travail psychologique et beaucoup d’entrainement. Les participants sont accompagnés d’associations comme Eloquence de la différence. Ces associations mettent à leur disposition des orthophonistes, des coachs, des professionnels de l’art oratoire pour que les candidats apprennent à dépasser leur handicap. Ce sont des mois de travail pour atteindre un bien-être oratoire et monter sur scène devant des centaines de personnes.
Le bégaiement ne m’empêche pas d’aller jusqu’au bout de mes rêves
Line
Simon : On parle assez peu de cette fragilité. Connait-on le parcours de ces audacieux orateurs ?
Certains bègues parlent clairement de handicap. C’est en effet un handicap invisible qui touche 600 000 personnes. Il est difficile de parler de parcours unique. On connait des personnalités politiques qui l’ont été comme Winston Churchill, Joe Biden… Mais Bérénice et Emmanuel également participants au concours témoignent que jeunes, ils ont souffert des personnes qui baissaient les yeux en les écoutant, qu’ils ont dépensé beaucoup d’énergie à cacher leur bégaiement, qu’ils ont pu parfois se sentir condamné à se taire ou à réduire leur vocabulaire pour éviter les syllabes qui déclenchent le bégaiement. Le manque de confiance en eux a pu s’installer. La communication étant une vraie difficulté, l’envie de se replier sur soi est grande.
Ils disent aussi avancer à coup de défis. Et quand ils sont capables comme Bérénice de proclamer dans un discours : « Le bégaiement fera toujours partie de moi et j’en suis fière » ou comme Line dans l’extrait documentaire l’éloquence du bégaiement qui dit « Ce bégaiement est cette étincelle qui m’a fait réaliser la richesse éternelle de la diversité. Ma différence c’est la chance de ma vie », on comprend que le principal défi de ces personnes bègues n’est pas de surmonter les contraintes liées au bégaiement mais de s’accepter soi-même.
Simon : N’est-ce pas le défi de toutes les personnes freinées par un handicap ?
Vous avez raison Simon, c’est pour cela que l’OCH et d’autres associations travaillent à donner une visibilité aux personnes handicapées. Ce concours d’éloquence pour les bègues est une merveilleuse initiative qui montre que bien accompagnées, les personnes handicapées développent des talents, des compétences hors du commun dont la société a besoin. Il suffit qu’on leur donne une place, qu’on croie en elles. Comme Line qui affirme que « Le bégaiement ne l’empêche plus d’aller jusqu’au bout de ses rêves », je souhaiterais entendre de la bouche de toute personne handicapée : « mon handicap ne m’empêche pas de faire des rêves ». Et à l’OCH, nous sommes sensibles aux rêves des personnes handicapées. On en reparlera Simon à l’occasion des 60 ans de la Fondation.
Florence Gros sur Radio Notre Dame – 20 décembre 2022