L’Eucharistie, entre infiniment grand et infiniment petit

Un prêtre donne l'eucharistie à un enfant.
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BF : Nous sommes entrés dans la Semaine Sainte, sommet de la vie chrétienne. Jeudi Saint, Jésus institue l’Eucharistie. L’occasion pour vous, Philippe, de faire mémoire d’un évènement personnel qui vous a beaucoup marqué.

Il s’agit d’un membre proche de ma famille, Henri, qui a été victime d’un accident cérébral à la suite d’une opération. Tout son côté droit était paralysé, et il ne pouvait plus parler, ni communiquer d’aucune manière. Douloureux pour lui, et pour nous ! Henri avait attrapé à l’hôpital une maladie nosocomiale. Son état se dégradait, il devenait de plus en plus faible au point que parfois il ne pouvait même plus ouvrir les paupières lors de nos visites à l’hôpital. Parfois un léger mouvement manifestait qu’il avait perçu notre présence. Henri s’apprêtait manifestement à nous quitter.

Nous avons demandé à un ami prêtre de venir célébrer la messe. Nous nous sommes retrouvés dans sa chambre d’hôpital, une dizaine de ses très proches, serrés autour de son lit. Henri n’avait pas bougé, aucune manifestation de sa part. Impossible de savoir s’il dormait, ou s’il était un tant soit peu présent à ce qui se passait. La messe se déroule. Arrive le moment de la communion. Le prêtre coupe une minuscule parcelle d’hostie consacrée, la pose dans une goutte de précieux sang au fond d’une petite cuillère dorée. Il s’approche d’Henri, et dit d’une voix douce : « Henri, le corps et le sang du Christ ». Etonnamment, la bouche d’Henri s’entrouvre très légèrement, suffisamment pour que le célébrant dépose la minuscule goutte sur ses lèvres qui se referment derrière.

Jésus donne son corps et son sang pour qu’Henri, et chacun d’entre nous, dans notre fragilité, puissions être unis à sa divinité et vivre de sa vie.

BF : On comprend l’émotion pour tous ceux qui étaient là !

Oui Bruno. Mais surtout, à ce moment-là, j’ai compris. J’ai compris le mystère du don qui nous est fait dans l’Eucharistie : l’infiniment grand, Dieu tout puissant, se donne dans l’infiniment petit. Qu’y a-t-il de plus petit que cette parcelle microscopique de pain dilué dans cette goutte de vin ? Dieu est là, entièrement là! Qu’y a-t-il de plus petit qu’Henri au bout de sa vie, qui a eu tout juste la force nécessaire pour entrouvrir ses lèvres ? Dieu est là, pleinement là ! On a tous dans l’oreille cette phrase de la liturgie, au moment où le prêtre verse une goutte d’eau dans le vin du calice : « Comme cette eau se mêle au vin, puissions-nous être unis à ta divinité, toi qui a pris notre humanité ».

BF : On devine que la petite goutte d’eau, c’est l’humanité si fragile d’Henri ?

Oui Bruno, et Jésus l’unit à sa divinité ! C’est ce mystère que nous allons vivre Jeudi Saint, en faisant mémoire de la Cène. Jésus donne son corps et son sang pour qu’Henri, et chacun d’entre nous, dans notre fragilité, puissions être unis à sa divinité et vivre de sa Vie. Un mystère vertigineux que des personnes en extrême faiblesse comme Henri nous font étonnamment comprendre.

Mais elles le demanderont rarement par elles-mêmes, elles n’en ont pas la force. A nous les proches d’en faire la demande auprès des aumôniers d’hôpitaux. Dans cette extrême vulnérabilité, l’Eucharistie devient leur seule nourriture, et les proches présents à ce moment-là seront probablement touchés par ce don de Dieu, comme j’ai pu l’être.

Philippe de Lachapelle sur Radio RCF – 11 avril 2022

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