Trisomie et chaussettes dépareillées
BF : Lundi prochain, 21 mars, c’est la journée mondiale de la Trisomie 21. Une journée à laquelle nous pouvons tous participer de façon simple et originale.
« Portez fièrement des chaussettes dépareillées pour la journée mondiale de la trisomie 21 » . C’est l’invitation que lancent de nombreuses associations de personnes trisomiques chaque 21 mars, avec un succès croissant dans le monde entier. Il s’agit donc de mettre des chaussettes de couleurs différentes, si possible de photographier ainsi nos pieds asymétriques et colorés, et d’en poster la photo sur les réseaux sociaux. Une action qui vise à montrer notre goût pour la différence, et notre souhait que les personnes trisomiques soient plus visibles. Une mobilisation joyeuse, ludique, inclusive. L’initiative est sympathique, surtout en cette période un peu morose : ce 21 mars, les personnes trisomiques mettront indirectement un peu de couleur dans notre grisaille. Mais personnellement, j’aurais assez envie de choisir une chaussette lumineuse et une chaussette sombre pour ajouter un message au message.
La chaussette lumineuse, Bruno, c’est pour saluer tous les progrès que nous faisons concernant les personnes trisomiques.
BF : Quel est ce deuxième message, derrière ces deux couleurs ?
La chaussette lumineuse, Bruno, c’est pour saluer tous les progrès que nous faisons concernant les personnes trisomiques : progrès médicaux, avec par exemple la durée de vie en bonne santé qui s’allonge ; progrès en accompagnement, certaines personnes trisomiques arrivant à suivre des cursus inattendus, scolaires, universitaires, professionnels ; progrès médiatiques, avec le succès inimaginable de livres témoignages, de pages Facebook ou autres blogs de parents d’enfants trisomiques qui disent quelque chose du bonheur possible; progrès sociétaux, dont le succès des « café joyeux » est signe.
BF : Et la chaussette sombre alors ?
Si le but est que les personnes trisomiques soient bien visibles, encore faut-il les laisser naître, Bruno ! Elle est là, la chaussette sombre : on sait, hélas, que 96 % d’entre eux sont éliminés avant la naissance ; que les lois bioéthiques remettent sans cesse sur la table la nécessité de détecter plus, mieux, sous les sigles barbares de DPI, DPN, et j’en passe ; que les parents qui résistent à la pression pour l’interruption médicale de grossesse sont incompris, parfois stigmatisés, souvent culpabilisés…
En 2017, Frank Stephens s’était adressé au Congrès américain pour plaider pour la recherche : « Je suis un homme porteur de trisomie 21 et ma vie vaut la peine d’être vécue – avait-il lancé solennellement avant d’ajouter –« une étude Harvard a montré que les personnes trisomiques et leurs familles sont plus heureuses que le reste de la société » – et de conclure : « nous rendons le monde plus heureux , n’avons-nous pas notre place sur terre ? ».
Lundi prochain, portons nos chaussettes dépareillées, l’une lumineuse, l’autre sombre, pour apporter notre réponse ferme à cette question douloureuse.
Philippe de Lachapelle sur Radio RCF – 14 mars 2022