OCH : changer de regard sur le handicap – Chronique KTO radio
Parce que son corps ou son rapport au monde sortent de la norme, la personne handicapée suscite souvent un trouble ou même une envie de fuir. Affronter le regard de l’autre, mais aussi sa propre image, c’est le sujet que la revue Ombres & Lumière a choisi de décrypter dans son dernier numéro, avec de grands témoins à l’appui. Sa rédactrice en chef Marilyne Chaumont est avec nous pour en parler.
Pourquoi avoir choisi cette thématique du regard sur le handicap ?
Qui n’a jamais été troublé par le handicap de l’autre ? Nous avons tenté de comprendre le malaise d’autrui mais aussi le vécu des personnes touchés par une différence visible marquée, qui crée parfois de l’anxiété sociale. Et puis beaucoup de nos lecteurs et de familles, disent être être blessés, révoltés, ou désarmés par le regard des passants, mais aussi dans l’environnement scolaire ou de travail. L’essayiste français Marcel Nuss, qui était atteint d’une amyotrophie spinale, a dit lui-même avec des mots durs qu’il était « une gêne » et même « un choc visuel ». Très souvent, c’est l’ignorance qui est en cause. La personne qui se sent troublée éprouve une incompréhension, mais elle bute aussi sur cette question « et si moi j’étais comme ça, comment je réagirais ? comment pourrais-je le supporter ? ». Cette projection renvoie à la fragilité de l’homme, à cette peur de la différence mais qui peut aussi une peur de la ressemblance.
Votre Une d’Ombres & Lumière n’est pas anodine. On y voit un homme avec une grave malformation au visage, mais avec un sourire qui impacte le regard.
L’homme qui fait la Une du magazine s’appelle Guilhem Lignon, il est lui-même atteint d’une fibromatose de type 1, qui provoque de graves malformations du visage. Il exprime combien sa différence lui est constamment renvoyée par le regard des autres. Il y a quelques années, il avait été pris en photo par le studio de photographie Harcourt. Et à l’époque, lorsqu’il a dû poser, il a demandé que l’on voit davantage le côté gauche de son visage, qui est moins touché par la maladie, mais qu’on ne fasse que deviner le côté droit. Or, aujourd’hui, on le voit de face sur notre couverture : parce qu’entre temps, il a accompli tout un cheminement qui l’a conduit à être plus apaisé face à son image mais aussi face aux autres. Guilhem Lignon raconte le changement d’attitude dans les groupes lorsqu’il s’est mis à parler simplement de sa maladie. La question du regard de l’autre pose aussi celle de la réconciliation avec soi-même, qui est un travail là encore de longue haleine.
Existe-t-il des outils ou faut-il avoir des ressorts psychologiques particuliers pour sortir de la honte, du repli ou de la révolte ?
L’association Anna dont Guilhem Lignon est président fait par exemple un excellent travail, grâce à des ateliers, pour aider ceux qui ont une particularité corporelle, et notamment les enfants. Sa fondatrice Béatrice de Réviers qui est médecin et psychothérapeute, dit bien qu’il est important pour ces jeunes patients de mettre des mots sur le regard d’autrui. Elle apprend aux enfants à identifier trois curiosités différentes : la curiosité naturelle, la curiosité intrusive, et la curiosité malveillante. Face à chacun de ces trois curiosités, elles donnent des outils pour avoir des réactions proportionnées. Par exemple, il n’est pas bon de rabrouer une curiosité naturelle. Car cela peut rendre les relations sociales plus compliquées. En revanche, la curiosité intrusive ne saurait être tolérée. Avoir des bons outils pour se positionner est donc important et malheureusement, tout le monde n’a pas les ressources intérieures pour faire face à ces regards souvent au quotidien. Guilhem Lignon a trouvé des mots très justes pour qualifier le retard qu’il attend, je le cite : « Un regard respectueux, c’est celui qui ne dévisage pas, où il n’y a pas de pitié non plus. C’est un regard humain. Un regard qui envisage »
On parle souvent de « changer de regard ». Concrètement, la société peut-elle jouer un rôle pour que le regard de l’autre se fasse plus accueillant ?
La société a encore un très grand chemin à faire pour habituer le regard. Ce qui aide fondamentalement, ce sont des choix courageux en faveur de l’inclusion et de l’accessibilité -dans les transports ou dans les écoles-, etc. Mais aussi une éducation de chaque personne. Francesca Pollock, psychanalyste et auteur d’un très bel ouvrage sur son beau-fils polyhandicapé, qui s’appelle Ferdinand des possibles, invite par exemple les familles à aller témoigner dans les écoles, le plus tôt possible. Car, seule la vraie rencontre peut créer cette hospitalité du regard envers les personnes les plus singulières de notre société.
Marilyne Chaumont, KTO radio, La parole aux associations, 13 novembre 2024