OCH : troubles psychiques et vie spirituelle – Chronique KTO Radio
Marilyne Chaumont, KTO radio, La parole aux associations, 8 janvier 2025
Pour son premier numéro de 2025, le magazine Ombres & Lumière a décidé de comprendre les liens entre maladie psychique et vie spirituelle. Dans les hôpitaux psychiatriques, ou dans les paroisses, la soif spirituelle des personnes malades psychiques suscite l’espoir autant que la crainte. La peur du délire mystique occulte parfois le réel soutien que la foi apporte dans le rétablissement. Comment prendre en compte ce vrai besoin spirituel sans risquer de décompenser ? Comment le monde de la psychiatrie peut-il y être vigilant, sans brimer cet élan naturel à l’homme ? C’est à ces questions que Marilyne Chaumont, rédactrice en chef d’Ombres & Lumière, tente de répondre.
Bonjour Marilyne. Pourquoi cette méfiance existe entre vie spirituelle et troubles psychiques ?
Beaucoup de personnes font la confusion entre un « délire mystique », lorsqu’une personne se prend par exemple pour le Christ, et un « état mystique », qui est de l’ordre de la prière. Dans notre dossier, nous avons interrogé le psychiatre Jacques Besson. Il explique très bien cette différence, je le cite : « L’état mystique est un état normal. C’est un moment où la personne médite, contemple, fait état d’une conscience élargie, prie. Tout cela est bon pour la santé mentale, diminue l’anxiété et contribue au rétablissement de la personne. C’est aussi une conviction partagée par une communauté ».
Alors que le délire mystique, c’est très différent, et cela relève de la psychopathologie. Ce sont des convictions inébranlables et étranges, qui débordent du cadre culturel admis. Cela peut se manifester par un sentiment de persécution, avec ou sans hallucinations. »
De fait, parmi les témoignages que nous avons récoltés dans Ombres & Lumière, beaucoup de personnes ayant des troubles psychiques nous ont évoqué qu’elles avaient vécues des délires. Je pense à Bernadette, diagnostiquée bipolaire, qui, à 37 ans, a fait un délire mystique : « J’étais persuadée que j’étais damnée et que je finirais en enfer, raconte-t-elle. J’ai beaucoup souffert, j’ai fini par perdre la raison et être hospitalisée. À cause de cette crise, j’appréhendais beaucoup de retourner à la messe. J’avais peur que cela déclenche un nouveau délire. » Quant à Ludovig, diagnostiqué schizophrène, il raconte lui aussi une grave crise subie alors qu’il avait 20 ans : « Les voix me disaient que j’allais être un nouveau Messie. J’ai cru parler avec Dieu. Pensant lui obéir, j’ai sauté du cinquième étage. »
Si l’on écarte le « délire mystique », qui existe, la foi peut donc être un vrai soutien pour ces personnes ?
Oui, et des études scientifiques le prouvent. Un collectif de chercheurs et praticiens du secteur de la psychiatrie a tenté de mesurer l’impact – positif ou négatif – de la spiritualité dans le processus de rétablissement des personnes malades psychiques. Ils ont démontré que la pratique religieuse avait des effets positifs pour 71%, et négatifs pour 14%. Philippe Huguelet, psychiatre, l’un des contributeurs de l’étude explique ce résultat : « Contrairement à l’image des flambées psychotiques que peut causer la pratique religieuse, dit-il, on a montré que la ressource spirituelle peut aider. Elle peut apaiser les symptômes, diminuer le risque du suicide, apporter un sens et de l’espoir au patient. »
Dans notre enquête Ombres & Lumière, nous avons été témoins de cette soif de spiritualité et d’espérance au cœur d’un reportage puissant à Ville-Evrard, en Seine-Saint-Denis. Didier, interné dans cet hôpital psychiatrique, vient très régulièrement à l’aumônerie, s’est exclamé devant nous : « Je veux avoir Jésus dans mon cœur ». Il y a aussi la voix de Gaëlle, 36 ans, borderline. La jeune femme a fait plusieurs tentatives de suicide. « Si je suis encore là aujourd’hui, c’est qu’il y a quelque chose. C’est grâce à Dieu, ce n’est pas possible autrement »
Donc les psychiatres, souvent méfiants face à la dimension spirituelle, ont tout intérêt à élargir leur regard pour, enfin, prendre en considération toutes les dimensions de l’être d’une personne, et notamment sa relation vitale à Dieu.