Colloque aux Bernardins : le témoignage du Père Jean-Claude Lemaitre
« Impressionnante rencontre »
Nous sommes le dimanche soir 10 décembre. Habité par des extraits télévisés du Téléthon de ce week-end-là, vus en coup de vent sur France 2, je me souviens des témoignages d’enfants et de parents, de bénévoles, de journalistes, etc. Je suis époustouflé par ces quelques 22000 actions réalisées sur l’ensemble du territoire français et par les plus de 80 millions d’euros de dons financiers récoltés. En écrivant ces lignes, je me sens traversé par un sentiment de fierté et d’admiration en pensant au surprenant peuple français. Malgré ou avec ce qu’il endure, il est capable de rester généreux pour faire avancer la recherche en thérapie génique !
Et comment ne pas faire le lien avec le colloque parisien de l’OCH du 25 novembre dernier ? Lorsque, par hasard, je suis tombé sur une annonce papier de ce colloque, je me suis tout de suite senti concerné par son thème : « Les personnes handicapées, révélatrices de Dieu ? » Thème audacieux, prophétique, intrigant, dérangeant, surprenant, essentiel ?
Récemment nommé curé d’une paroisse rennaise, pourtant débordé de travail, jonglant avec mes quatre autres missions diocésaines de mouvements d’action catholique, je ne suis même pas posé la question, en moi résonnait une évidence : Dieu me donnait rendez-vous à Paris même, avec une « cerise sur le gâteau », au collège des Bernardins, lieu que je rêvais de visiter depuis des années, somptueux édifice religieux de 1248.
De cette rencontre nationale, que retenir ?
Tout d’abord, j’ai été marqué par les savoir-être et savoir-faire de l’accueil, un des charismes de l’OCH, avoir le souci bienveillant de chacun et chacune, prendre soin de chaque personne dans sa singularité, que celle-ci soit valide ou porteuse d’un ou de plusieurs handicap(s), quel(s) qu’il(s) soi(en)t. Le cadre multiséculaire du lieu en rajoutait : Comment conjuguer une architecture datant du Moyen-Âge avec les contingences de notre culture post-moderne sur plusieurs étages ? Pari réussi depuis 15 ans !
Arrivé dans l’immense salle de conférence, tout de suite, je m’aperçois que les organisateurs de ce colloque ont dû « jouer des coudes » pour que nous, personnes à mobilité réduite en fauteuil électrique, nous puissions à notre tour « jouer des roues » dans un espace réservé trop étroit et pourtant, chaque participant entrant dans cette salle ou la salle voisine, trouve au mieux sa place.
Tout est prêt. Les deux interprètes de la langue des signes qui vont se relayer en assemblée plénière toute la journée sont arrivées. Nous sommes filmés et passons en direct sur la chaîne KTO… Florence Gros, directrice de l’OCH, commence par souhaiter la bienvenue aux quatre cents personnes présentes à ce colloque. En cette année de ses 60 ans, nous dit-elle, « l’OCH a souhaité par ce colloque, donner la parole aux personnes porteuses d’un handicap, les écouter car on est persuadé qu’elles ont quelque chose à dire à la société et à l’Eglise, car l’épaisseur de leur vie mérite vraiment d’être entendue. »
Il eût fallu que je regarde la vidéo sur YouTube. 153 minutes de témoignages, d’interventions et de débat de cette riche et dense matinée mais, vu le nouveau contexte global de mon existence actuelle, il m’est plus que nécessaire de faire des choix. En voici le lien : https://www.youtube.com/watch?v=bvPAgY_LsIg&t=171s
Plusieurs éléments, au cours de cette journée, auront attiré mon attention. D’abord, le nombre de personnes présentes illustrait bien la pluralité de notre vivre ensemble en société et en Eglise aujourd’hui. Dans cette foule, beaucoup de personnes handicapées avec leur(s) pathologie(s) plus ou moins visible(s) et cachée(s), qui par leur seule présence, témoignent des avancées contemporaines de l’intégration, voire de l’inclusion dans tous les domaines, des personnes déficientes composant le maillage sociétal et ecclésial actuels, tout en reconnaissant d’une façon réaliste, le chemin des réformes et des avancées restant à faire…
Soulignons le travail de compétence professionnelle du monde des chercheurs, des personnes œuvrant dans les domaines médicaux et paramédicaux, sans oublier l’incessant combat et le remarquable accompagnement d’un nombre incroyable d’associations laïques et religieuses, dont nos réseaux en Eglise unifiés par la Pastorale des Personnes Handicapées (PPH) dans chaque diocèse, ainsi bien sûr que l’OCH.
Nous sommes également marqués au sein de l’Eglise par l’expérience à Lourdes de Diaconia puis sur le terrain, du réseau St Laurent et de la dynamique des diaconies paroissiales mettant au cœur de leur action missionnaire, l’écoute, le service, le soutien des plus fragiles de notre société, en leur donnant la parole et en valorisant leur chemin de vie et de foi en Jésus-Christ, comme des révélateurs d’expériences théologiques authentiques, car ce sont ces personnes qui sont en première ligne dans leur expérience humaine et spirituelle, devenant ainsi, pour un certain nombre, des experts en humanité et des croyants chevronnés.
A ce titre, les diverses interventions de parents, de personnes porteuses d’handicap et de théologiens au cours du colloque m’ont édifié quant à la pertinence de leurs relectures de vie, appuyées sur la Parole de Dieu et argumentées par des citations en fonction de leurs connaissances en sciences humaines et en théologie.
Je pense vraiment que pendant cette rencontre s’est vécue une dimension du Royaume de Dieu déjà là et pas encore. Au travers de ces apports et récits de vie, Dieu est venu, en Jésus son Fils incarné, nous parler d’une façon prophétique. Le Seigneur nous a visités. Le temps de prière clôturant la journée trouvait bien sa place comme chemin d’action de grâce et de reconnaissance de sa Présence au sein de son Peuple bien aimé. Je pense qu’une eucharistie aurait été la bienvenue à ce moment-là, mais les organisateurs en ont décidé autrement.
J’ai apprécié les échanges les plus divers pendant le déjeuner. J’ai constaté que nous étions une petite délégation honorable de notre Diocèse. Le temps d’atelier de l’après-midi où j’étais fut intéressant mais quelques longueurs de témoignage ont laissé peu de temps aux échanges avec l’auditoire, dommage. Et enfin, j’ai trouvé les remontées des quatre ateliers bien préparées et pertinentes, suivies de l’intervention remarquable de l’envoyé spécial de Rome du pape François !
Ce colloque de l’OCH m’a dynamisé. Mon histoire d’homme porteur d’un handicap de naissance ; ma condition de citoyen français et européen; et ma foi en Jésus-Sauveur, le crucifié-ressuscité, vécue dans mon ministère de prêtre diocésain depuis bientôt 35 ans, avec ma nouvelle nomination en tant que curé de paroisse, me font affirmer avec conviction que les personnes handicapées, révèlent Dieu par leur patience ; dans leurs nécessaires dépendances ; dans leurs combats au cœur de la souffrance ; dans les démarches administratives et dans la gestion de leur vie au quotidien ; par la force de leur résilience après des moments de déprime et de galère, etc.
Mais aussi par leur sourire, leur foi en Dieu pour un certain nombre d’entre elles chevillée au cœur et au corps, faisant d’elles dans leur grande diversité des êtres d’exception au plan humain et spirituel. A deux conditions : la première, pour celles conscientes de leurs limites et leurs capacités, qu’elles prennent leur vie en main au mieux et même aidées, qu’elles soient actrices de leur existence et non des personnes uniquement assistées, en transformant leurs limites et leurs fragilités en tremplin vers Dieu et vers les autres — et la seconde, en aidant si possible, dans une communication non violente, un certain nombre de personnes dites « valides », à ne pas les enfermer dans la prison de leurs handicaps ou à les étiqueter, avec des préjugés !
Depuis le début de ma vie jusqu’à ce jour, quand je constate avec émotion et une constante action de grâce, ce que je suis devenu et vis aujourd’hui comme existence passionnante, je ne peux y voir que la présence agissante et transformante de Dieu qui se révèle à moi. Et cette autorévélation divine, je ne peux la garder pour moi seul ! Une force intérieure qui me dépasse me pousse humblement à en témoigner chaque jour, par ce que je suis et deviens.
J’adresse, en conclusion, un immense merci aux acteurs de ce colloque OCH qui restera longtemps gravé en moi et qui m’aide déjà dans mes engagements citoyens et mes missions en Eglise, à être attentif à mes frères et sœurs, blessés, dépendants et fragiles en humanité.
Comme le souligne l’actuel responsable du Centre Sèvres, le jésuite Etienne Grieu, dans son dernier livre « Le Dieu qui ne compte pas. Une théologie à l’écoute des humiliés et des boiteux » (Éditions Salvator, janvier 2023, 206 pages): « À travers le cri des pauvres, Dieu se révèle, il montre son vrai visage, celui « qui est passé par le degré zéro de l’humanité auquel la Croix ramène » pour nous apprendre à aimer en actes et en vérité. » (4ème de couverture du livre). Je fais mienne cette phrase, fil rouge qui parcourt son livre, révélant un Dieu d’amour inconditionnel et de miséricorde sans limite, pour chaque être humain : « Parce que c’est toi ! »
Jean-Claude Lemaître, compte rendu écrit les dimanche 10 au soir et lundi 11 décembre 2023