Journal d’un médecin malade (Ep. 4)
FIDÈLE COMME UNE OMBRE
Mercredi 24 février 2021
Cataclysme émotionnel hier soir et ce matin. La journée d’hier était pourtant délicieuse. Un soleil printanier, une superbe promenade dans le magnifique paysage de Tourony, poussé en fauteuil alternativement par Gwendal et Margaux. Des touristes en foule à se balader, à profiter des premiers soleils, à jouer sur le sable. Des jeux de lumière dorée sur les rochers et l’île de Costaérès.
Le soir, avec Margaux on a découvert avec plaisir et gourmandise un chardonnay et un poulsard du Jura, alors que depuis plusieurs jours, je n’avais ni appétit ni envie de boire avec un état nauséeux désagréable. J’ai présumé que c’est un effet secondaire du Laroxyl® sur une constipation tenace. Je l’ai donc arrêté. Mal m’en a peut-être pris.
Hier soir en effet, alcool aidant certainement, j’ai été pris au lit d’une crise de sanglots intarissables. J’ai ressenti en flash le sentiment que je pesais sur l’existence de Chantal et des enfants, que je perturbais leur vie avec mon état d’handicapé. J’ai senti profondément, alors que la raison me dit le contraire, que Chantal me détestait. Non, plutôt que Chantal détestait ma maladie et l’état de détérioration dans lequel cette dernière m’avait condamné. Et le pire est encore devant nous…
J’ai trouvé ses caresses de consolation superficielles, distantes sur mon corps altéré, déchu, impuissant qu’elle ne reconnaît certainement plus.
Et ce matin après le petit déjeuner, manifestations de ma part d’agacement et de colère envers Chantal pour des broutilles, et là, c’est Margaux qui craque en pleurs, exprimant le désir de rentrer sur Paris, me suppliant de consulter médecin ou psychologue. C’est vrai, je crois faire le malheur de ma famille alors que je l’adore et qu’elle crie que ce n’est pas vrai. Je me sens perdu, inutile pour les aider dans leurs activités de rangement de la maison. Je n’ai pas ressenti un tel désir de mourir depuis longtemps. Et je pleure à la fois sur le désespoir que je vais leur infliger et sur mon malheur de perdre tout ce bonheur.
* Aujourd’hui Philippe Bail est en vie, et se laisse aller « en appréciant tous les instants de la vie ». « Je n’ai plus du tout envie de mourir », dit-il, après avoir rédigé tout son journal. Il ne parle plus de suicide. Il est alité, sous assistance respiratoire 24h/24. Son témoignage pour Ombres & Lumière est visible ici. Retrouvez la suite de son journal, mardi prochain.