Dieu me voit normal

Paul a une vie difficile. Né avec un handicap mental léger, il a eu un grave accident dont il a gardé de lourdes séquelles. Son corps est déformé, ses fonctions ralenties. Et puis c’est sans parler des troubles cognitifs et psychiques dont il souffre. Perte de mémoire, parfois beaucoup de confusion. Oui, la vie de Paul est difficile. Il vit dans un gros établissement médicalisé de l’ouest de la France. Il participe régulièrement aux réunions que l’aumônerie organise. Il aime ces moments de partage et de prière, il ne manque jamais une Eucharistie. Un jour, il croise dans les couloirs Mathilde, la responsable de l’aumônerie.
Il n’est pas en forme ce jour-là, ça se voit sur son visage. « J’ai honte, je suis tout tordu, tout de travers – lâche-t-il – mais qu’est-ce qu’il pense de moi, le Bon Dieu ? ». Mathilde est perplexe, ne sait quoi répondre, se sent prise par le temps, déjà en retard pour une réunion. « Qu’en penses-tu ? » – lui demande-t-elle en guise de réponse. Le visage de Paul est grave, la réponse se fait attendre, et soudain il s’éclaire d’un sourire : « Je crois qu’il me voit normal ». Oui, Paul, je comprends ce que vous voulez dire par cette formule « le Bon Dieu me voit normal ». Vous savez que le Bon Dieu ne nous regarde pas avec nos catégories. Il voit nos cœurs profonds, il voit nos personnes, il voit la beauté de chacun, parce qu’il voit en chacun de nous la beauté de la personne faite à son image. Paul, vous êtes à l’image de Dieu, comme chacun d’entre nous sur cette terre. Même tout tordu, même tout de travers, la beauté de notre personne, la beauté de notre cœur profond ne sont en rien affectées, en rien ! Si Dieu connait la beauté de votre personne, il n’ignore pas pour autant vos souffrances, vos épreuves.
Au contraire. « Venez à moi vous tous qui ployez sous le fardeau, et moi, je vous procurerai le repos ». C’est Jésus qui nous dit cela dans l’Evangile de Mathieu. Jésus n’aime pas nos handicaps, nos blessures. On voit bien qu’il ne cesse de guérir les personnes malades ou handicapées qu’il rencontre. Mais il aime ceux qui se savent tordus, tout de travers, fragiles, exclus. Il les aime tellement qu’il se fait l’un d’entre eux, au point d’en mourir sur la Croix. C’est dans cette extrême fragilité que Dieu le Père vient le relever et l’exalter. C’est dans nos failles que Jésus vient faire sa demeure, pour nous aimer et nous relever. Dieu nous voit « normal » non pas malgré nos failles, mais dans nos failles. Merci, Paul, de nous le rappeler.
Philippe de Lachapelle sur Radio Notre Dame